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Parmi les Ptah Hotep et même les Nefer de Charles Duits je découvris un jour une plante singulière, prodiguant de somptueuses visions et sacrée par essence, dont les prêtres et les religieuses, même les profanes, faisaient un abondant et régulier usage, le gulgulian. Je ne voulus voir là tout d'abord qu'habileté narrative de la part d'un poète et visionnaire du fantastique, mais en parcourant d'autres ouvrages de cet écrivain énigmatique et discret, mort à Paris en avril 1991, je réalisai combien dans la réalité il en avait été de même pour lui, ou peu s'en faut. Mais "l'acrimonieuse poudre verte", ou bien "ciguri", comme il l'appelle dans divers de ces ouvrages hors fantastique, dans sa vie quotidienne ne s'appelait point gulgulian. Elle avait un autre nom, et ce dernier, je l'appris bientôt, était peyotl.
Mon intérêt fut dès lors éveillé, mélange de curiosité pour un écrivain au style précieux et pourtant si mystérieux, et de fascination pour ce champignon hallucinogène. Je voulus en savoir davantage, et sur l'un, et sur l'autre. J'amassai une certaine documentation, dont je me suis servis pour rédiger cet article : libre à d'autres de me dépasser ensuite dans l'étude et la recherche, les limites sont faites pour êtres franchies. Je ne pense pas être parvenu à délivrer totalement cet homme de l'ombre épaisse planant sur lui, mais du moins, et cela, j'en suis certain, chacun pourra comprendre pourquoi, lorsque la littérature de l'Imaginaire est l'oeuvre de telles personnes, elle peut atteindre aux plus hautes cimes.
En 1956, l'un de mes plus vieux amis vint en France. Il vint comme Melchisedech, roi de Salem, apportant le pain et le vin. Pourtant, ce pain et ce vin avaient toutes les apparences du poison.
C'était une poudre verdâtre, à gros grains, qui sentait le moisi, et qui avait une saveur très âcre. Les Indiens de l'Arizona tenaient pour sacrée la plante que David avait séchée et moulue pour obtenir cette poudre, et l'appelaient "le don du Christ à l'homme rouge". Ils en consommaient le samedi soir, passaient la nuit devant un feu; le lendemain, assistaient au service religieux de l'église voisine. Aux protestations du pasteur ils répondaient que les blancs avaient des chemins de fer et des avions; eux, ils avaient cette plante, ce cactus: ceci compensait cela.

Par ces phrases explicites dans Le pays de l'éclairement, Charles Duits explique sa rencontre avec le peyotl. Effectivement, à cette date l'auteur découvrit les vertus et les propriétés de ce champignon hallucinogène, terme réfuté d'ailleurs par l'auteur, ce dernier lui préférant celui de "lucidogène". Avant tout, quelques précisions sur le peyotl s'imposent.
Les champignons constituent la catégorie de psychédéliques naturels la plus importante du sud du Mexique.
Utilisés lors de cérémonies sacrées, les Indiens prirent soin de les dissimuler aux Européens jusqu'au 20° siècle. Ce n'est que dans les années cinquante qu'on commença à entendre parler de ces champignons mexicains dans le reste du monde. Très vite, les botanistes identifièrent les espèces utilisées, et les chimistes découvrirent que le principal agent responsable de leurs propriétés psychotrope était la psilocybine, un hallucinogène à noyau indole similaire au LSD mais à durée d'action plus courte: quatre à six heures.
Plus loin: le peyotl est un petit cactus sans colonne surmonté d'un bouton gris-vert duquel émergent des touffes de poils blancs. Il est originaire de la vallée du Rio Grande dans le sud du Texas, ainsi que du nord et du centre du plateau mexicain... Isolée du peyotl à la fin des années 1890, la mescaline est le seul psychédélique naturel apparenté à l'adrénaline. Si l'on excepte les quelques artistes, philosophes et psychologues qui l'ont expérimenté sur eux tout au long du 19° siècle, la mescaline a été très peu recherchée avant la révolution psychédélique des années soixante. (Du Chocolat à la Morphine, Editions du Lézard).

Charles Duits le confesse dans André Breton a-t-il dit passe, il consomma la poudre de bouleversement une centaine de fois entre 1956 et 1960. Ainsi, son utilisation en fut limitée dans le temps, soulignant s'il en était nécessaire la brièveté de son expérience. Mais en fait, pourquoi Charles Duits, poète du fantastique, éprouva-t-il le désir d'ingérer une telle drogue, à une période bien déterminée de sa vie ? La réponse est complexe, elle comporte plusieurs options, si l'on peut dire. Une chose est cependant certaine et ne peut d'aucune façon être niée, ce faisceau de présomptions remonte à une origine commune. Elle donna lieu à toute une série d'évènements fort destabilisateurs pour Charles Duits, du plus obscur au plus lumineux. Lui-même le reconnaît d'ailleurs, et obligeamment éclaire notre lanterne dans La conscience démonique.
Dans les pages suivantes je raconte l'évènement qui est à l'origine de toutes mes recherches et qui, je crois que je peux l'affirmer, a fait de moi l'homme que je suis. Je pense que ces pages sont bonnes, au point de vue strictement littéraire: décrivent avec exactitude l'évènement, ainsi que ces conséquences intellectuelles et affectives. C'est avec un profond embarras cependant que je les soumets au jugement du lecteur. En effet, elles rendent un son indiscutablement chrétien.
Je ne me suis pas converti: mais le fait est qu'entre 1948 et 1956 le christianisme a été la grande affaire de ma vie. Il serait malhonnête de dissimuler ou de minimiser ce fait.
Que s'est-il donc passé en 1948 jusqu'à 1956 ? Ou plutôt devrions-nous dire surtout en 1948 ? Et encore en 1956 ? Nous allons le voir ici, il s'agit tout simplement peut-être des deux dates les plus importantes de sa vie, de sa vie intérieure s'entend. En 1948, faisant partie du groupe des surréalistes avec André Breton, il signe un tract anti-clérical, A la niche les glapisseurs de Dieu. Il apparaît à l'athée d'alors une vision du Christ, celle-ci le mettant dans tous ses états. Cette vision se répétera peu après, une fois encore. Le trouble en lui sera intense, car la religion chrétienne avec sa mortification de la chair et son refoulement des instincts lui sera par trop rédhibitoire durant ses tentatives d'approche. Une période sombre surviendra, éclairée pourtant en 1950 par un voyage à New-York où il rencontrera sa première femme, Lucie Vines. Mais les ténèbres iront s'épaississant, comme il le reconnaît lui-même.
...j'ai été amené à consommer le peyotl pour les raisons les plus graves. Il ne s'agissait nullement de fuir mais, bien au contraire, de résoudre la question essentielle: la vie a-t-elle ou non un sens? Ceci dans La conscience démonique toujours, aux éditions du bois d'Orion. Comme on le voit, la contradiction entre les convictions les plus profondes de l'auteur, d'une part, et le message incontestable de la vision lui survenant, pendant une lecture des Evangiles, ne laissa pas de marquer durablement Charles Duits.
Ainsi j'étais forclos et du silence et de la parole. Si je me convertissais, si je déclarais publiquement que j'étais chrétien, je devenais aux yeux de Breton un être abject, immonde et ridicule; si je me taisais, je reconnaissais implicitement que j'avais eu une crise de folie, que j'avais été la victime d'une hallucination, et me plaçais du même coup dans la catégorie des malades mentaux.
Il fallait choisir, et je ne le pouvais. Quelle que fût la solution adoptée, elle ne pouvait en aucun cas m'apporter la certitude et la sérénité. Plus de sept ans devaient s'écouler avant que je sortisse de ce drame.
(La vie le fard de Dieu).
Plongé dans un tourbillon de déséquilibre psychique, il vient à lui son ami David Hare, nanti d'une étrange poudre verte, aux singuliers pouvoirs. Dès lors, rien ne fut plus pareil pour l'auteur. Les hasards de la vie pourtant dans ces circonstances ne manquent pas d'humour, comme il advient souvent dans ces cas-là, car -Charles Duits ne le savait pas encore, il l'apprendra plus tard- la vision christique et religieuse advenue lui étant par trop insupportable, le destin lui apporta par raccroc un christ davantage accessible et pourtant tout aussi religieux, le peyotl, appelé par les Indiens "le don du Christ à l'homme rouge".
Donc, on mange une acrimonieuse poudre verte, on la mange sans foi véritable, en buvant de l'eau pour faire descendre, et en faisant beaucoup de grimaces, parce que la saveur de la poudre est abominable, continue de raconter l'auteur. De cela, il n'est rien de plus exact. Le goût du peyotl est atroce.
Si les extraits mous, hydro-alcoolique et chloroformique, de peyotl desséché (mescal-buttons) peuvent, sous forme pilulaire, être acceptés sans répugnance par les malades, il n'en va pas de même des préparations liquides: teinture au1/5, extrait fluide à P.E. Leur saveur désagréable doit être masquée dans les mélanges et potions où elles entrent. Il y a donc lieu de sucrer fortement ces médicaments et de leur adjoindre des substances destinées à modifier ou à dissimuler le goût sui généris de la drogue. (A.Rouhier, le Peyotl, Guy Trédaniel éditeur) L'édition originale de cet ouvrage date de 1926, c'est l'explication du terme "malade" donné à l'utilisateur, car dans l'esprit de A.Rouhier seul un usage médical pour le peyotl est envisagé. Le peyotl a un goût amer et écoeurant dont on se débarrasse difficilement. Les gens qui en mangent pour la première fois ont du mal à l'avaler et sont fréquemment sujets à des vomissements. (DCALM, Editions du Lézard). Encore exact, dixit l'auteur : Le Christ commençait à chasser l'esprit mauvais, lequel devait sortir, vomi par l'adepte, avant que le peyotl - "le don du Christ à l'homme rouge" - pût agir. Charles Duits, je pense, ingéra le peyotl à la dure, si j'ose dire, en s'aidant d'un verre d'eau. Mais des facilités auraient été possibles : La coutume consiste à les manger avec du chocolat ou du sucre pour en dissimuler l'amertume et faciliter la libération des alcaloïdes. (Les champignons hallucinants, Editions du Lézard) Quoique la façon orale d'ingérer le peyotl soit de l'avis unanime des spécialistes la meilleure possible. Explication.
La façon dont une substance est absorbée est également déterminante. Par voie orale, elle pénètre le sang plus lentement et son impact sur le système nerveux est moins important que si elle est prisée, fumée ou injectée, auquel cas elle ne passe pas par les voies gastro-intestinales. L'absorption de grandes quantités de drogue par l'une de ces trois voies plus immédiates présente davantage de risques et entraînera plus facilement, à terme, la dépendance. (DCALM)
La prise du peyotl fut pour Charles Duits une révélation, à tous les sens du terme. Dans Le pays de l'éclairement, il le clame à plusieurs reprises comme pour bien assurer la chose.
Je savais exactement sur quelle branche de quel olivier stridulait cette cigale, sous quelle feuille se mussait ce criquet, autour de quelle rose bombillait cette abeille. La brise jouait dans les fils téléphoniques, inclinait avec un doux feulement les canisses. Des gens allaient et venaient dans la villa voisine, ouvraient, fermaient des portes, parlaient. Des voitures cornaient sur la route du Cap.
Et toutes ces diverses sonorités, loin de produire un effet de confusion, nouaient les unes avec les autres des rapports aussi clairement définis que si elles eussent figuré dans une composition musicale. Chacune était nécessaire, chacune naissait à tel point de l'espace, à tel moment de la durée, suscitée par une autre, et sa disparition formait un vide cristallin en lequel faisait éclosion aussitôt une vibration nouvelle. L'ensemble était comme une fugue sans fin ni origine, éternelle, et qui, néanmoins, ne niait pas le temps, car chacune de ses figures avait la perfection d'un accomplissement et la densité germinative d'une promesse.
Cette fugue était une expression sonore de l'ordre divin, de la Raison agissante. Un permanent miracle était la loi même du cosmos.
Comment douter de ce miracle et de cette loi, puisque je les percevais et que, si j'avais eu des connaissances adéquates, j'aurais pu transcrire dans le langage de la musique l'architecture de ce "concert champêtre"?

La compréhension est immédiate, le peyotl vient de chasser les doutes et les angoisses nées chez l'auteur à la suite de sa première vision christique, il n'avait en effet pu l'assimiler, rappellons-le, en dépit de tous ses efforts. Comme un médecin têtu revenant à la charge pour soigner un malade, le second assaut "du christ de l'homme rouge", le peyotl, se révéla être le bon. Charles Duits venait de trouver la foi, ou du moins une sorte de foi d'essence religieuse, acceptable pour lui. Cette dernière n'avait rien à voir avec la religion chrétienne, à laquelle il était décidément allergique. Ajoutons à propos des substances psychédéliques ou hallucinogènes, cela n'a rien d'extraordinaire :
Certains usagers les ont recommandées avec ferveur, affirmant qu'elles étaient la clef de notre compréhension intérieure et qu'elles avaient fait naître chez eux des sentiments religieux. (DCALM) Mais l'auteur, toujours dans Le pays de l'éclairement, décrit encore les effets surprenants du peyotl dans son être.
J'étais plus adroit, plus rapide, plus fort, plus souple. Et cet accroissement des puissances corporelles était aisément vérifiable. La balle de tennis volait au but comme si un champion eût manipulé la raquette.
J'étais ouvert et simple. Je ne craignais plus ni la souffrance ni le jugement d'autrui. La souffrance parce qu'elle ne pouvait briser le diamant intérieur. Le jugement d'autrui parce qu'il ne me saisissait pas dans ma singularité, mais en tant que manifestation, nécessairement imparfaite, de l'homme universel. Et l'homme universel était une abstraction, une idole verbale.
Je percevais une prodigieuse quantité de choses qui, ordinairement, échappaient à ma vigilance. C'était de cette illimitation des facultés que naissait la vision de l'ordre divin.

En fait, le peyotl, cette plante sacramentelle mexicaine, levait simplement un coin du voile masquant à l'auteur l'étendue de ces possibilités propres. Cette forme de vision, colorée et supra céleste (le peyotl n'est-il pas le champignon qui fait les yeux émerveillés ?) était uniquement possible sous l'influence des alcaloïdes contenus par le champignon. Hors de son pouvoir, son utilisateur retombait dans son état premier, incomplètement, toutefois. Quelque chose des anciennes facultés du peyotl restait acquis à l'utilisateur. La vision de Charles Duits -et de tout autre afficionado au peyotl- en est restée transformée à jamais. Je veux dire, le peyotl révélait Charles Duits à lui-même, il lui montrait les possibilités de son propre psychisme.
La préexistence des états de conscience modifiée au sein de notre organisme doit être un motif d'optimisme. Cela signifie en effet que ces états sont toujours latents et qu'il doit exister de nombreux moyens de les rappeler à notre conscience. Plus haut : les drogues ne renferment pas ces états. Ceux-ci existent déjà dans le système nerveux humain; en fait, les drogues ne font que les activer ou fournir le prétexte qui permet de les ramener à la conscience. (DCALM, Editions du Lézard).
Au surplus, les visions du peyotl sont éminemment personnelles, un autre individu aurait eu des images nettement moins colorées sur le plan religieux, par exemple. Du reste, Charles Duits, parfaitement documenté sur la chose, en était bien conscient.
Indispensables, les "bonnes dispositions", parce que le monde sous l'influence de la mescaline devient le reflet de ces dispositions. Peur suscite menace; haine suscite laideur; amour suscite beauté. Toujours dans Le pays de l'éclairement.
Il apparaît nettement que les expériences sont plus agréables, et provoquent moins d'effets secondaires déplaisants, quand le sujet possède un meilleur équilibre physique et une santé plus parfaite: le "dieu" ne favorise que les gens sains et bien portants, dit l'Indien. Les cas d'extrême dépression semblent s'être produits chez des individus affaiblis ou dont certaines fonctions générales étaient altérées. (A.Rouhier, le Peyotl, Guy Trédaniel éditeur).
Un point dans le peyotl est cependant à préciser tout particulièrement : en dehors des variations personnelles d'un usager à un autre, les images et surtout leurs couleurs sont d'une grande qualité esthétique. L'oeil acquiert également une meilleure facilité de vision.
La stimulation du centre cérébral qu'elle indique, accroît la sensibilité de l'oeil à la lumière, ainsi que l'acuité de la perception visuelle. L'expérimentateur découvre souvent, à son grand étonnement, des détails qu'il n'avait jamais remarqués: fissures imperceptibles dans le plâtre d'une cloison, craquelure d'un vernis, inégalité d'une surface, minime éraflure d'un meuble. Le relief des choses s'accroît, leurs teintes s'affirment. Les valeurs des couleurs s'accentuent et les rapports qu'elles ont entre elles s'accusent et se précisent. (A.Rouhier, le Peyotl).
Tout semblait être empli d'une lumière intérieure, et vous donner ne serait-ce qu'une idée de l'intensité et de la pureté parfaite de ces fruits de couleur dépasse grandement mes pouvoirs. Aucune couleur depuis n'a eu cet éclat. (extrait du témoignage d'un médecin, et romancier américain, qui fit en 1896 l'expérience du peyotl : DCALM).
Au sujet de la beauté des couleurs et leur aspect féerique, Charles Duits ne dira rien de différent, mais pour l'acuité visuelle, il donnera d'intéressants détails.
Ce fut la "vision télescopique" qui me procura mes plus grandes joies sensibles. Il me suffisait de fixer les regards sur un point quelconque du ciel pour percer l'enveloppe gazeuse de la Terre et voir, dans la nuit de l'espace, les étoiles. Quand à cette enveloppe même, j'en discernais avec une parfaite clarté les mouvements et les stratifications. Les vents comme des fleuves diaphanes roulaient les uns sur les autres. Parfois un courant s'épanchait. Il se formait alors des bouquets de volutes liserées de givre, des épanouissements prismatiques.
Dès lors pour Charles Duits le constat est clair : l'état dans lequel il se trouve, lorsqu'il est sous l'influence du peyotl, est celui d'une conscience supérieure par rapport à une autre inférieure (l'état de veille, donc), ou bien de l'Eveil par rapport au sommeil.
Du songe terrible dans lequel nous sommes ensevelis rien ne peut nous délivrer, hormis l'éveil, affirme-t-il dans André Breton a-t-il dit passe. Il poursuit dans Le pays de l'éclairement : (c'est un des principaux ouvrages de Charles Duits de référence pour nous, car dans ce dernier est relaté son expérience du peyotl, en majorité mais non exclusivement) C'est à hâter la délivrance que servent les disciplines diverses, les exercices de concentration, le jeûne, la continence, mais aussi, parfois, certaines pratiques dangereuses ou bizarres, qui paraissent faire fi de la morale et du bon sens.
Toutes les ascèses ont pour objet de provoquer un éclatement et de tirer l'Esprit du sommeil cosmique.
Dans cette perspective, absolument différente, comme on le voit, de l'occidentale, on ne peut considérer a priori comme coupable l'homme qui fait usage des illimiteurs de la conscience, à la condition bien entendu que l'Eveil soit le but de ses recherches.

L'usage du peyotl a profondément modifié la façon de voir et de concevoir l'existence de l'auteur, désormais rien ne pourra plus être comme avant. Un certain mysticisme l'habitera, dépourvu d'une quelconque coloration monothéiste, et surtout chrétienne. Lui-même sera parfaitement conscient de cette irruption, craignant un envahissement par trop important de sa personnalité, y compris - et surtout - littéraire.
Je confonds littérature et mystique, reconnaît-il dans La vie le fard de Dieu, son journal de 1968 à 71. Et il est bien possible que tous mes malheurs (presque tous) naissent de là. Charles Duits en parlant de ses malheurs se plaignait surtout de son peu de reconnaissance littéraire, joint à sa peur de voir son oeuvre pénétrée d'une religiosité indéfinie et mal comprise. Mais nous ses lecteurs, trouverions-nous matière à nous plaindre ? Nous savons bien l'extrême importance de la religion pour le héros des Ptah Hotep, et même de Nefer . L'autocritique réalisée par Charles Duits, à l'occasion, grâce au champignon mexicain, ne lui apporta pas de raisons de se plaindre. Elle lui souffla de brillantes intuitions et ces dernières nous paraissent à nous, lecteurs anonymes séparés de ces années par le flot du temps, empreintes du plus élémentaire bon sens.
Il y a dans Ptah Hotep une "vérité psychanalytique". À la différence de Balzac par exemple je ne fais partie d'aucun monde. C'est pourquoi je me trouve dans l'obligation d'en inventer un.
Mais je m'en avise tout à coup, c'est ce que je fais dans tous mes livres. Le monde du P. (Le pays de l'éclairement); le monde de l'exil (André Breton, a-t-il dit, passe); le monde de la luxure (La salive de l'éléphant); enfin le monde du merveilleux (Ptah Hotep).
La vie le fard de Dieu.
Mais comme pour toute élévation spirituelle, ou même intellectuelle, il lui faut de nouveau redescendre sur terre, le contact avec les forces terrestres est nécessaire. L'effet du peyotl est limité à quelques heures. On s'en souvient, Charles Duits usa du peyotl seulement durant un nombre limité d'années. Il avait pris de la hauteur et provisoirement observé les confins lointains -extérieurs aussi bien qu'intérieurs- et à présent, il devait les atteindre à pied, par ses propres moyens. Le peyotl avait été un phare et un signal, indiquant sans faillir vers où Charles Duits devait aller. Retournons à l'ouvrage Le pays de l'éclairement.
Comme on l'a vu, je pouvais, grâce au peyotl, voir et ce que la vie faisait de moi et l'homme libre et fort dont je contenais, pour ainsi dire, le germe. David aussi avait un possible qui attendait, dans l'ombre, que l'occasion de fleurir lui soit donnée.
Car désormais Charles Duits sait, il peut pointer le doigt vers son objectif et donner un nom à ce qui il y a plusieurs années en arrière n'en avait pas.
Maintenant, je sais au moins nommer l'objet de mon ambition. Je sais que je cherche l'illumination. Je veux devenir ce qu'est devenu le prince Siddharta sous l'arbre de la Bodhi.
Désormais l'auteur se trouve dans des eaux plus calmes et même si les avanies de l'existence quotidienne ne cesseront de le tourmenter de temps à autre, dans ses profondeurs intangibles il vient de franchir un pallier, des plus importants grâce à l'apport constitué par ce champignon hallucinogène mexicain. Ce dernier l'avait aidé à voir en lui-même le désir mystique y sommeillant depuis toujours, mais ensuite il lui incombait de faire seul le reste de la route. Dans ses notes explicatives du pays de l'éclairement, Charles Duits s'en explique sans détours.
Ce point est essentiel. Le P. est un maître, dans le sens oriental du mot. Grâce à lui, nous pouvons connaître le but de l'initiation. Mais, pour l'atteindre, nous devons devenir des athlètes de l'esprit; pour cela, faire des efforts longs et pénibles. Tant que nous ne sommes pas toujours ce que nous sommes sous l'influence du P., nous ne sommes rien (des "merdités absolues", aurait dit Gurdjieff). Comme le maître traditionnel, le P. nous enseigne donc à nous passer de lui. À ceux qui lui demandent de faire à leur place le travail indispensable, il inflige "trente coups de bâtons".
Inutile de le dire les spécialistes -si j'ose employer ici ce terme- ne prétendent pas autre chose, en des termes différents il est vrai.
Lorsqu'on veut accéder à des états de conscience modifiée, les moyens les plus naturels réclament un effort initial peut-être plus important, mais ils ont l'avantage de ne pas s'émousser à force de répétition et s'avèrent donc souvent très profitables à long terme. En fait, les moyens de défonce ne nécessitant pas un soutien de l'extérieur finissent par devenir de plus en plus efficaces avec la pratique. Les gens qui font du sport, du yoga ou de la méditation prétendent que leurs expériences s'améliorent avec le temps, ce qui est loin d'être le cas des gros consommateurs de drogues. (DCALM)
Dans André Breton a-t-il dit passe, Charles Duits avoue avoir cessé de prendre l'acrimonieuse poudre verte. La plus grande partie du chemin lui restait encore à faire, mais du moins avait-il parcouru du regard l'étendue passée, et embrassé brièvement les horizons dorés restant encore à venir. L'auteur des Ptah Hotep et de Nefer termina sa vie en s'adonnant à la peinture, et en rédigeant un traité ésotérique intitulé la seule femme vraiment noire. Vers la fin, en 1991, seule la peinture occupait ses jours. Mais l'essentiel n'avait-il pas déjà été accompli ? De grands bouleversements intérieurs lui étaient advenus, suffisants ô combien pour occuper une vie. D'autres auraient sans doute renoncés et baissés les bras.
La paix intérieure lui était pourtant advenue, j'en ai pour ma part la certitude intime, sa démarche est celle du chercheur en vérité, et sa vision celle du poète. Son oeuvre fantastique est originale par sa spécificité et sa qualité dans le monde francophone, et il ne doit pas en être différemment chez les anglo-saxons. Un splendide isolement a été jusqu'à présent le lot de cet homme, cela au fond n'a rien pour nous surprendre. Car en définitive, comme l'a justement remarqué Charles Duits,
Rares sont les hommes qui savent se faire nuit; et, dans l'étoilement du ciel intérieur, trouver la certitude.



L.V. Cervera Minero

Charles Duits : Voyage 
jusqu'au bout du Peyolt




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